Le camping – blog de papa lion

Je me rappelle la toute première fois où nous sommes partis au camping avec les enfants. Les deux mois précédant notre départ, tous les jours, ma fille avait réclamé le camping, « et c’est quand qu’on part », « et c’est dans combien de jours », « et combien ça fait en semaines ». C’était il y a trois ans (cent-cinquante-six semaines environ). Dans la voiture, elle avait rongé son frein tandis que j’appuyais sur l’accélérateur. Mais alors que nous arrivions, elle s’était mise à pleurer. « Je ne veux plus aller au camping ». 

Point de caprice depuis et c’est toujours une fête d’aller dormir sous une tente, de faire la queue pour les douches sales et de se brosser les dents en regardant discrètement les autres dans le miroir moucheté. Nous avons beaucoup ri. Dans la voiture, nous avons écouté Jo Dassin, parce que je suis passionné de chansons ringardes et que je tiens à transmettre mes passions essentielles à mes enfants. On est allé où je voulais quand je voulais : dans les Gorges du Tarn, la semaine dernière. J’ai proposé aux enfants d’emmener le petit pédalo et ses personnages avec lequel ils jouent dans le bain – on est bébé jusqu’à qu’on ne le soit plus – il ont refusé, craignant de le voir emporté par le Tarn. Je l’ai quand même emmené, en douce. Et on a chanté pas mal de fois dans la semaine qu’il fallait envier l’éternel estivant qui fait du pédalo sur la vague en riant, parce que je suis aussi passionné de jolies chansons. 

Un soir, aux sanitaires (ma fille adore ce mot, « sanitaires »), des jeunes se brossaient les dents en musique, mais en musique de jeune. Pour être efficace on appellera plutôt cela une musique de merde et très fort en plus, la bonne vieille prise d’otage aux sanitaires, moi je n’avais pas très envie de me brosser les dents en écoutant des décibels injurieux. Ils n’étaient pas méchants ces jeunes, mais ils n’avaient pas bien lu le règlement intérieur. Visiblement je n’étais pas dans l’ambiance car ils m’ont demandé si j’aimais bien leur musique, comme s’ils connaissaient déjà la réponse et voulaient en débattre, ou peut-être voulaient-ils juste se battre. Avec pas mal de dentifrice entre les lèvres je leur ai demandé d’éteindre leur flow haineux. Qu’adviendrait-il de ma petite enceinte aux sanitaires du camping si je diffusais le Requiem de Mozart en me brossant les dents ? 

Un jour qu’il a pleuvait fort sur la grande route et que nous cheminions sans parapluie (celle-ci, ma fille la connaît par cœur, ce qui constitue sans doute une réussite éducative majeure), j’ai proposé aux enfants de taper le carton. Oui, une belote à trois, c’est possible. On s’est régalés. Mais vraiment régalés. Ma fille nous a écrasés, j’ai dit que c’était la chance du débutant, son frère a râlé car lui aussi débutait. Je lui ai confié un peu plus tard que la chance du débutant, c’était la façon polie de désigner les enfants qui gagnent alors qu’ils n’ont pas compris la moitié de la règle du jeu. Quant à moi, de toute façon, j’ai toujours été nul aux cartes. Pour faire le malin il a dit que c’était aussi le nom d’un animal, la belote. J’ai suggéré qu’il s’agissait sans doute de la belette. Ca n’a pas arrangé les choses. Alors pour le faire rire je lui ai appris le kilo de merde, je n’aime pas être grossier mais bon c’est comme ça que ça s’appelle, ce jeu, c’est le kilo de merde. Je me rappelle qu’enfants, nous appelions ça le pot de coquillages parce que nous y jouions à la plage et que nos parents veillaient au grain (de sable). Comme nous étions au camping, que nous ne sentions pas bon et que ma fille n’aime pas les gros mots, nous avons appelé ça le kilo de chaussettes sales, c’était délicieusement niais et parfaitement régressif, d’ailleurs ils n’ont plus voulu jouer qu’à ça et nous n’avons jamais pu rattraper ma fille à la belote. 

J’avais emmené deux livres : Jean de Florette et La Disparition. J’ai lu quelques extraits de Pagnol à mes petites galinettes et ils ont bien ri, surtout quand le Papet dit : « Mon pauvre Ugolin, que tu peux être couillon ». Je leur ai expliqué que La Disparition était un lipogramme en E, ils ont été très impressionnés, ma fille a essayé mais il y avait des E partout dans ce qu’elle disait, mon fils a jugé qu’avec deux E dans son prénom, elle partait avec un handicap. Elle nous a bien fait rire en suggérant que c’eût été encore plus drôle si Perec ne l’avait pas fait exprès. Tiens, d’ailleurs il avait deux E dans son nom lui aussi. 

Nous avons fait la connaissance d’un mec bien sympa, un Auvergnat qui sans façon nous a hébergé dans sa tente immense alors qu’il pleuvait fort. Il s’appelle Stéphane et ça a l’air d’être un super papa alors comme il avait l’air de me trouver bien sympa aussi on a bu quelques bières ensemble. Il s’occupe entre autres choses de faire couler l’eau fraîche dans une cité thermale, j’ai trouvé ça génial comme métier et je l’ai un peu envié. Si j’ai bien compris, il ne m’envie pas trop d’être enseignant. Il sait aussi replier les tentes surdimensionnées, et sous la pluie en plus. Et c’est un sacré mangeur d’aligot. C’était une bien chouette rencontre. 

Nous avons fait du canoé, j’y ai laissé mes lunettes de soleil (si vous raclez bien le fond du Tarn vers Sainte-Enimie, merci de me ramener mes Ray-ban), nous sommes allés à la crêperie, j’y ai laissé mon budget, et nous avons nous aussi replié les tentes sous la pluie et j’y ai laissé ma dignité. 

C’est vrai qu’ils sont plaisants, tous ces petits villa-a-a-ges, mais une semaine au camping c’est bien assez. Sur le chemin du retour, nous avons troqué Jo et Georges pour Serge. A chaque chanson, mon fils me demandait une analyse de texte. J’ai parfois été à court d’arguments. J’ai remis Georges ; de toute façon il s’était endormi. 

De retour à la maison, mes enfants m’ont remercié pour cette jolie semaine de vacances. M’enlevant ainsi les mots de la bouche.