Le petit palais – blog de papa lion

Le docteur Tournevis a défini les frontières de l’enfance, proposant une réponse pour moi qui me suis tant interrogé sur le sujet. Il se pourrait bien que l’enfance ait pour butée la circonférence d’une mâchoire normée. Chez ma petite fille qui n’a jamais été aussi grande, la petitesse devient une anomalie qu’il convient de pallier. Elle n’a plus grand-chose de petit. Moi je lui vois des petits pieds, refusant de voir qu’ils sont péniche, je lui vois des petites mains feignant de ne pas saisir qu’elles mangent les miennes et que c’est à moi, à présent, de réclamer les siennes quand nous dévalons la rue. Même les vêtements pourtant à sa taille sont déjà trop étroits et il semblerait qu’il en soit de même en intra-buccal.  

Le docteur Tournevis prend à témoin la radiographie de sa mâchoire, trop petite vue d’en bas, on fait ce qu’on peut, et ça ne suffit pas, ce n’est pourtant pas pour ce qu’elle avale, c’est-à-dire quasiment rien, un moineau au régime, et ce n’est pas assez, il faut à présent lui élargir le palais et je trouve ça un peu barbare. Je pensais taper mon scandale, surtout que mes souvenirs d’orthodontie sont martiaux. Je me rappelle un praticien Boulevard Pasteur, avec de très grands yeux et des samedis matin à revisser ma bouche, ce ne sont pas de bons souvenirs. Et c’est à présent à ma petite fille de se faire réajuster les dents par le docteur Tournevis. Nous nous sommes laissés convaincre, cons derrière notre masque, bien forcés de constater d’après la radiographie que la mâchoire du haut semble étriquée, et que les dents définitives seront définitivement à l’étroit si le Docteur Tournevis ne force pas un peu la nature.

Nous avons un échéancier, c’est-à-dire des rendez-vous, des prélèvements bancaires et ma fille me parlera bientôt de derrière sa plaque palatine. Le sourire de ma fille c’est une partie de ma vie, ma vie elle n’est ni bien ni mal, elle est comme elle est et le sourire de ma fille fait partie des choses bien dans ma vie. On me dit qu’une plaque palatine contribuera à lui faire faire de beaux sourires. Je me satisfaisais de ce que j’avais. Et qu’elle la préservera de bien des troubles orthopédiques. J’aurais dit « Fuis » pour une autre. Puisque c’est ma fille et que le docteur Tournevis a tracé des segments fluorescents sur la radiographie, je sors mon chéquier. Ma fille ne dit rien, de toute façon nous portons tous un masque, on ne s’entend pas dans ce cabinet, je crois que nous avons tous envie de partir et remettre le mal à plus tard.

Il semblerait que quelques-unes de ses copines portent déjà des prothèses palatines. Nous imaginons ces enfants poser leur appareil mobile sur le plateau de la cantine. Nous trouvons ça cocasse et nous en rions.

Je déteste le bricolage, les mesures, les normes, les ajustements, et je voudrais bannir de la planète les tournevis.

Je me dis malgré tout que ses sourires seront encore plus grands. C’est dérisoire, ça ne change rien, la vie est toujours aussi con, mais si ma fille sourit encore plus grand alors on ne s’en sort pas si mal.