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Ici LONDres

c’est pas les Four non Blondes. c’est pas les 4 garçons dans le vent. c’est des Français.

C’est London my friend, sa bonne bouffe et ses terrasses crowdy, on se marre pas mal. Mon fils shoote les canards à grands coups de Canon, un pourtant si gentil garçon. Ma fille parle coréen quand elle parle anglais. Y’a plein d’animaux dans Saint-James Park, les canards se caillent sans doute autant que les gardes, fallait pas se balader à poils d’ours, on va pas refaire le déroulé du séjour, suffit de relire le carnet de voyage scrapbooké (ça y est je sais ce que c’est) celui-ci que je m’en vais poser sur l’étagère en piaffant d’impatience de la glisser à nouveau dans les bagages. Y’a Little Venice dans le Big London et ça c’est vraiment une pépite, une pépite jonchée de feuilles de platanes, c’est très beau et mélancolique, c’est l’automne et c’est London. On a tout fait ou c’est en tout cas ce qu’on se dit : on a fait la et le tour de Londres, c’est d’ailleurs le concept de la Circle Line, on s’est ruinés en musées gratuits et on s’en est mis plein la panse d’une gastronomie dans l’ensemble assez dégueulasse et monocorde, une sacrée paire de Manche, la bouffe. J’ai appris qu’il y avait une différence entre la lager et l’ale même si à mon sens tout ça c’est rien que de la beer. Nos colocataires m’ont trouvé très exotique quand j’ai entrepris de cuire un oignon dans la poêle détefalisée qui constituait la pièce maîtresse de la batterie de cuisine vantée sur Internet, mais ceci n’est finalement qu’anecdotique, si on voyageait pour bien manger on partirait chez soi.

Faut pas s’imaginer qu’on glane encore des Doc Martens à Camden : c’est fini my dear, le sweet underground a laissé sa place aux sweats « Underground », good price for you (30 livres quand-même), perfect for Paris, j’y laisse dix pounds, je pouvais l’avoir à dix pence. On dix pence tout notre argent de poche comme à la bonne époque qu’ils n’ont pas connue, que je leur raconte et dont ils se foutent pas mal, bien que je l’idéalise un peu, mais qui s’intéresse à l’adolescence de ses parents ? Les deux se bouffent un peu le nez (on mange décidément mal) et s’insultent en anglais : « shut you ! ». Elle pète un cab, il la trouve What a relou. J’en fais Tottendhram, je déteste les Clash. On a bien mindé le gap between the train and the platform, si y’a un truc qui fonctionne bien à Londres ce sont les transports : le tube est un vrai succès, y’a des bus à tous les étages. On a mangé au Warwick Castle, sans vouloir faire de pub.

Il y avait des petits Harry Potter de partout, ça par contre ça m’a fatigué vite fait, je leur aurais bien cassé les baguettes, même les enfants ça les a gonflés ; ma fille est quand même rentrée avec un vif d’or-collier-montre, lui aussi dans le style (Fischer) good price for you. A King’s cross où nous passions par coïncidence nous avons vu le quai 9 trois quarts étrangement situé au-delà des quais 9 et 10 ; en Angleterre, les fractions, c’est pas sorcier. Chouette, nous voici en bon gallinacés dans la Tate Modern, à râler parce que ces ânes font payer l’accès à l’exposition Cézanne. Anyway, ma fille détournait déjà le regard devant le panneau « Exhibition ». Repli sur la National Gallery où nous avons admiré les tableaux du peintre hollandais qui vivait en France et qui vend ses dessous-de-plat et ses calendriers dans la shop. Tout pour le fric, Vincent. On repart vers Trafalgar, tiens y’a Napoléon en haut, non je te dis que c’est Nelson, ben non tu vois bien c’est Napoléon, ben non c’est Nelson que je te dis, d’ailleurs je ne vois pas ce que Napoléon foutrait là-haut, ben si Papa regarde c’est Napoléon et, il faut bien reconnaître, il y a comme un air.

C’est passé vite, paraît-il. C’est le décalage horaire, baby.  

la glace a l’italienne – blog de papa lion

C’est prestigieux Cannes : ses palaces palissadés, son palais où les festivaliers de février s’inventent un destin de star de selfie, sa Croisette goguette et ses bars de plage d’où émanent des basses rances et les effluves de paellas noyées dans la graisse et le tariquet ; on se pencherait pour apercevoir une star mais je suggère qu’on passe son chemin. Car nous sommes en quête, et des plus belles, celle d’un glacier où nos cannes finiront bien par nous mener car nous sommes tout de même sur la côte d’Azur et parce qu’il n’y a rien de mieux en vacances qu’améliorer l’ordinaire avec une bonne bière ou une coupe glacée. Vu l’heure et bien que nous ayons vingt-trois ans de moyenne d’âge à nous trois, nous tentons de débusquer la star locale de la crème glacée. Mais dans l’enfer d’un après-midi bondé de février sur un front de mer largement surcoté, nous décrochons la palme d’or du meilleur espoir déçu. Il ne s’agit plus de passer son chemin mais de le rebrousser et, pour ne pas croiser les Croisettiens, nous demi-tournons par l’intérieur.

Et pour ce faire nous traversons et c’est alors qu’a lieu l’inattendu meilleur moment des vacances : un couple se fait grignoter la priorité sur le passage piéton par un automobiliste négligeant les règles les plus élémentaires de la conduite. S’ensuivent quelques jurons bien légitimes quoique manquant de subtilité, la scène aurait pu s’arrêter là, décevante, fade, quotidienne, mais le sublime a sublimé le vulgaire car l’homme parmi ce couple, après une seconde d’intense réflexion, avisant la plaque d’immatriculation de l’automobiliste coupable, lance à qui veut bien l’entendre : « et en plus il est Italien ».

Nous ne voulions pas vraiment entendre cela mais la vie est ainsi faite, la raison a souvent tort, à Cannes comme ailleurs.

Il nous sauve notre après-midi, ce brave gars. C’est superbe de la plus élémentaire des xénophobies : la salve la plus minable qui soit, il ne pouvait pas mieux formuler la haine ordinaire et, comme au cœur du plus intense des points d’orgue verdiens, il nous faut quelques secondes à mes enfants et moi pour réagir à cette scène misérable, le temps sans doute de nous mettre à l’abri des voitures et de la médiocrité. Et nous rions. Mais alors nous nous mettons vraiment à nous marrer.

Pernaut est mort, mais le Pernod vivra !

Il y a beaucoup d’Italiens à Cannes pour notre plus grand bonheur : dès que nous apercevons une plaque à l’effigie de notre sympathique voisin frontalier, nous nous faisons la réflexion qu’en plus, il est Italien. Une bagnole quelconque qui franchit une intersection de son plein droit alors que nous attendons raisonnablement que le feu passe au rouge ? Et en plus, il est Italien ! Des boutiques de grandes maisons de prêt-à-porter ? Et en plus, ils sont italiens ! La carte des pizzas ? Et en plus elles sont italiennes ! Nous faisons feu de tout bois.

La soirée passe ainsi, nous tournons tout à la dérision. Comment faire autrement ? J’ai un bon copain (qui en plus, est portugais) qui me fait parfois la remarque, teintée peut-être de reproche, que je tourne tout à la dérision. Nous poursuivons notre route, nous passons la plus excellente des soirées puis, quitte à en être si proche, nous traçons notre chemin vers Antibes. Nice. Menton. Ensuite, nous serons sans doute en Italie.   

station balnhiver

A bien y réfléchir, le charme des stations balnéaires exhale surtout l’hiver : journées courtes, chocolat chaud, jeux de société hors d’âge près du radiateur hors d’usage ; nous n’avons pas de sable collé entre les orteils ni le temps de nous ennuyer sur la plage. Nous devions célébrer Noël à Paris, mais le Covid nous a entubés. Ce ne fut rien de grave, un Noël Covid et donc variant du quotidien, un Noël au balcon, face à la mer, la plage à défaut des pavés.

Nous trompons un peu l’ennui à notre façon et disons donc n’importe quoi. Pour changer du Covid, les enfants m’imaginent avec Alzheimer, ce n’est pas forcément drôle mais ça nous fait rire, on peut rire de tout tant que c’est entre nous, et donc vraiment pas avec n’importe qui. Je les préviens ; quand j’aurai Alzheimer, contre qui plus personne ne recherche le moindre remède, je t’appellerai Churros. Et toi, je t’appellerai du nom de ta sœur. Ainsi passons-nous l’après-midi à nous nommer Churros et E., et moi ce sera Pizza, on rit comme des débiles et ça participe au charme de l’unité de lieu (la mer), de temps (il fait moche), d’action (on ne fout pas grand-chose), ça réchauffe un peu l’atmosphère, parce qu’ils portent tous un peu les masques, les petits vieux qui marchent le long de la mer, dans notre station balnéaire, en ce jour de décembre venteux, et pour me réchauffer l’atmosphère je me décapsule une petite mousse parce c’est bien gentil, la règle des unités, mais c’est comme ça qu’à la fin on boit l’eau.

Mes deux unités et moi recevons un autre sacré trio, un très joly trio familier de cette plage et nous n’avons pas changé, ni la plage, ni eux ni nous, nous disons n’importe quoi et ne faisons pas mieux, n’ayant guère mieux à faire. Nous passons un court mais parfait moment. Ce sont les mêmes qu’il y a huit ans, les enfants ont grandi, ce n’en sont peut-être plus tout à fait, les deux papas n’ont pas changé. Enfin…Et puis c’est de nouveau tous les trois, quatre avec le drone du père Noël, que mon fils pilote timidement sur un coin de plage pendant que je me vautre dans le sable, me demandant si ce sont les mêmes grains de sable qu’il y a huit ans, stupéfait devant la force des érosions, attendri devant les yeux d’enfant de l’enfant devant mes yeux, arc-bouté aux tout petits rayons de sable. Et puis c’est déjà la nuit alors nous remontons, surtout que les goélands s’approchent du drone et de mon fils d’un air vide, avide, un peu Covid.

Le drone est absolument vital pour réussir des photos vitales, comme celle-ci par exemple. Moi j’étais mort.

Bière fraiche chocolat chaud, je sieste, ils jouent, nous faisons un jeu de sosiesté. Churros me demande pourquoi je suis toujours drôle et mélancolique, je lui dis qu’il y a suffisamment d’imbéciles heureux, elle trouve ça très mélancolique et pas très drôle et puis je crois qu’elle renonce. Nous filons le temps, trainons comme le temps, nous l’étreignons.

Je crois que je voudrai vivre à la mer plus tard, compter les vagues comme les vieux et les goélands. Je raconterai n’importe quoi et à n’importe qui dorénavant, et puis je chercherai les traces de pas dans le sable. Mais ce n’est pas encore temps et puis nous ne sommes pas chez nous. Alors nous profitons d’une dernière soirée, le vent tape contre les baies vitrées, s’engouffre un peu dans les chambres mal chauffées, c’est d’un charme hivernal, glacial, ça me plaît beaucoup. Je crois que ça plaît aussi à Churros et à E. Nous reviendrons dans huit ans.

Lui c’est mon gamin et il finira à la NASA. Ou sur la plage, je m’en fous, tant qu’il est assorti aux stores. En revanche la dame derrière je ne la connais pas du tout.

Jaja et ma fille fabriquent

Elle devait y passer quelques heures, c’était juste pour aider Jaja, mettre en place le stand et jouer à la marchande. Je pensais qu’elle m’appellerait sur les coups de dix heures pour que je vienne la chercher, que je la relève de ses obligations facultatives, que je n’aie pas de problèmes avec l’Urssaf ni avec la protection des mineurs. Mais ça a duré quasiment tout le week-end. Elle s’est levée de bonne heure pour tâter le terrain avec Jaja, c’était le bordel, y’avait des exposants de partout, il aura fallu jouer des coudes enfin je n’en sais rien je n’étais déjà plus là, je les avais laissées toutes les deux, ce n’était pas ma place. Je ne suis pas un artisan. Moi j’aurais entassé les produits sur la table, allez servez-vous et laissez la monnaie dans le cendrier, et je serais parti boire un café ou une bière, y’avait quelques décroissants sympas qui mangeaient des croissants sympas ; mais elles ont voulu faire ça bien et je les ai laissées préparer leur stand pour quand le marché ouvrirait aux clients, vers dix heures, et que les décroissants seraient repartis s’acheter des pains au chocolat (‘finiront diabétiques).

Moi j’étais reparti m’acheter du café et des bières depuis longtemps et elles ne m’appelaient toujours pas, ni l’une ni l’autre, ni la grande ni la petite, ni celle pour qui j’angoisse ni celle pour qui je m’inquiète. Je n’allais pas l’appeler (elle n’a pas de portable), je n’allais pas l’appeler non plus (elle ne répond jamais). Et pour lui demander quoi, d’abord, à ma fille ? Tu t’amuses bien ? Si elle ne m’appelait pas c’est qu’elle s’amusait bien. Alors avec son frangin on s’est mis en route. Nous, les marchés d’artisans créateurs qui savent faire des trucs jolis avec leurs mains toutes douces, ce n’est pas trop notre truc, ni lui ni moi ne sommes artisan ni vraiment créateur, j’ai les mains calleuses et je déteste faire le marché, ni pour les navets ni pour les cadeaux de Noël. Non, vraiment, les cadeaux de Noël c’est l’almanach des proverbes ou le calendrier avec les photos des Cévennes, à la limite le dernier Echenoz mais on l’attend toujours le dernier Echenoz. Mon fils c’est pareil, ses mains sont douces pour Chopin, et encore Chopin c’est beaucoup de travail, les chats ne font pas des chiens, les pas drôles ne font pas des drôles, les pas très artisanaux ne font pas des artisans : lui de toute façon Noël il s’en fout, il a quatorze ans alors il s’en fout pas mal, de tout, de Noël, des artisans, du lave-vaisselle, de la lumière dans le couloir. De son père. De sa sœur. Bref on est arrivés au Marché des artisans du Noël des créateurs de choses jolies et on n’était pas très à l’aise, c’est tout juste si mon fils n’a pas attendu dans la voiture ; moi j’étais motivé, je voulais voir mes deux amoureuses dans leur élément : la joie de Noël, les jolies confections, le talent des mains lisses, le sourire et joyeux Noël, la santé surtout ! Alors j’ai pris mon fils par la main calleuse, ah non on ne le prend plus par la main depuis longtemps celui-là, je l’ai chopé par le col, je lui ai dit « fous ton masque et suis-moi ».

Jaja et ma fille étaient au fond, dernière salle, après l’art naïf ascendant niais ; on a tracé mais pour faire bonne figure on s’est un peu intéressé quand-même, y’avait des massages, des linogravures et je n’ai pas compris ce que c’était, y’avait des trucs en céramique très fragiles, j’ai préféré ne pas les toucher, j’ai vu aussi des pulls en laine de yack pour les CSP++ et des masques anti-covid vendus par des gens qui ne portaient même pas le masque. Moi j’ai juste acheté des linogravures format A6 qui ressemblaient beaucoup à des cartes postales. Prise de risque zéro. Impact carbone quasi nul. Secousse financière intense. Mon fils m’a dit qu’il y en avait des mieux au tabac, avec une photo des Arènes à la place du dessin de la Deux chevaux et le tout à moins d’un euro, mais punaise ce n’est pas vrai il ne comprend rien à l’artisanat celui-là ; et depuis quand il fréquente les tabacs ? Et puis on est arrivés dans la dernière salle, la salle où il y avait le stand de Jaja. Enfin, celui de Jaja et de ma fille. Ce n’est pas parce que c’est ma compagne hein, et ce n’est pas parce que c’est ma fille. Ce n’est pas parce que je les aime, l’une et l’autre, mais elles avaient bien bossé. Leur stand c’était le plus beau, même si ce n’est pas une compétition, attention, on est entre copains, on se soutient dans l’adversité, même le faux doigt-niais Rousseau on le soutient le temps d’un week-end convivial. Mais le stand de Jaja c’était le plus beau.

Mes deux amoureuses vendaient, vendaient vendaient. Enfin non, pas exactement. Pendant que la grande vendait, la petite achetait, elle achetait un peu partout, elle dilapidait son petit patrimoine de petite épargnante qui n’a pas assez épargné pour tout acheter. Elle a acheté des trousses. C’est fou ça, les trousses. Elle est rentrée à la maison avec tout plein de trousses. Et puis elle a fait le dimanche aussi, et je n’ai pas compris pourquoi, mais elles ont fait le dimanche ensemble, à tenir le stand, à vendre des trousses, à en acheter, et j’ai trouvé ça joli, que le talent et l’envie soient réunis, le temps d’un week-end, au marché des producteurs de choses artisanales et jolies et quelquefois incompréhensibles.  

Avec mon fils on a fait du piano pendant ce temps-là. J’ai défoncé Chopin. Il a fait du Pamart. Pamart du tout d’ailleurs. Il progresse mon gamin. Il joue Bohemian Rhapsody. Je le vois bien gare de Lyon, enfin bon, gare de Nîmes, pour commencer. Sur le piano tout défoncé de la gare. Il commence, les premiers accords, time after time, son air de rien, commited no crime. Et les gens qui s’amassent, à en louper leur train, de toute façon ils n’avaient pas le pass. Autant écouter mon fils, mais oui, c’est mon fils. Là, au piano. Les trousses, c’est ma compagne. L’argent dilapidé, c’est ma fille. Queen vous est offert par mon fils.

Et moi ? Moi, ben….je regarde. Et j’écoute. Je suis bien.

La boutique de Jajafabrics

La Machine à claques

Je n’étais pas chaud pour mon anniversaire et encore moins inspiré alors, quand ils m’ont demandé ce que je voulais, j’ai répondu « la paix » ; ça c’est la blague de mon frère, je l’aime beaucoup, la blague, je l’aime aussi beaucoup aussi mon frère mais la paix on ne l’obtient jamais. La faute aux années ? On ne va pas se mentir comme disent les jeunes (les moins de cinquante), avec les années qui passent on l’a de moins en moins, la paix, la paix intérieure là, la sérénité. On ne la demande plus que du bout des lèvres. Bah. Ce n’est pas grave car il suffit de changer d’inspiration et de position pour dormir. Mais comme l’inspiration ne venait pas j’ai ressorti une vieille blague, c’est bien pour ça les anniversaires, pour les vieilles blagues, et je leur ai répondu que je voulais une machine à claques. Mais une vraie bonne machine à claques, avec démarrage instantané et mécanique anti-grippage.

Je l’ai eue, et ce n’était pas un cadeau en carton, bien que quand même en carton ; j’ai rarement autant ri en déballant. Une authentique machine à claques made in à la Maison (donc in France). Une pièce unique, m’a fièrement dit ma fille. Son seul défaut, un U qui manque à « claques ». Une malfaçon de la meilleure façon.  

machine à claques

A présent c’est l’anniversaire de mon fils et comme il a à peu près tout pour être heureux, enfin je crois, même si ce n’est pas flagrant au réveil, même s’il ne dit plus qu’il vivra avec moi toute sa vie, même si même si, eh bien là, cette année, il manque d’idées. Ça sonne un peu occidental et purulent ça, et les grincheux crieront à l’enfant gâté, mais ouais il a déjà tout, ouais, il est gâté, ouais, il est beau, il est intelligent, il fait de la vidéo, des fois il lit, et il a même de l’humour quand il n’est pas devant son écran d’ordinateur. Mon fils, c’est ma brindille brillante. Il a une drôle de voix depuis quelques mois, mais ça c’est plutôt marrant.

Comme il a de l’humour mais que moi, je n’en ai pas toute la journée (ce n’est pas en flux tendu l’humour, des fois c’est maladroit, c’est loupé, c’est à se fourrer la tête dans la machine à claques 400 tours/minute), je lui ai dit qu’en l’absence de réponse enthousiaste à la question « que veux-tu pour ton anniversaire mon petit lapin boudeur de 14 ans ? », je ne lui offrirais rien. Ça ne l’a pas fait rire.

Quitte à ne pas se mentir, enfonçons une porte ouverte : la vie n’est pas toujours drôle. Surtout avec moi, finalement. Mes élèves ont le droit de faire une blague par semaine et exclusivement le vendredi après-midi. Alors bien sûr les mêmes grincheux que là-haut diront que ce n’est pas beaucoup, une blague par semaine, qu’il faut donner la parole aux petits êtres qui ont plein de fraicheur à exprimer et que Maria Montessori avait beaucoup d’humour (mouais…), à quoi les instituteurs embouteillés (ceux qui ont de la bouteille, pas ceux qui boivent ! ) répondront que c’est déjà trop, une blague par semaine parce qu’il faut les entendre les blagues de CM2 : Toto se retourne dans sa tombe chaque vendredi après-midi ; rendez-nous le Belge, l’Américain et le Français ! Une blague par semaine. L’autre fois, j’en ai un qui m’a dit que j’avais un truc, là, en désignant vaguement mon épaule. J’ai regardé, ben je n’avais rien, là. Il m’a dit « mais non c’est une blague maître ». Je ne réagissais pas, je le regardais dans les yeux, consterné mais non-violent, ça c’est un truc qu’on n’apprend pas à l’IUFM mais qui vient très vite, la consternation non-violente, alors il s’est justifié, « vous avez un truc mais c’est ma blague, maître », je réagissais toujours aussi peu, ma consternation enflait, ma non-violence était mise à mal, « parce qu’on est vendredi, maître », je me retenais, « la blague du vendredi, maître », continuait-il de se justifier, et comme il n’avait plus son petit sourire de morpion et qu’il avait perdu sa belle assurance (en général, c’est la MAE), j’en suis retourné à ma leçon ; d’ailleurs j’avais digressé, je dis de ces trucs des fois, j’étais en train de leur expliquer qu’on dit « les yeux » mais « une paire d’yeux », bref un truc qui n’est pas au programme, mais les programmes moi je ne les lis pas, je les emmerde tout autant que ceux qui les écrivent avec leurs pieds, et ça c’est vraiment un sujet qui me fait perdre mon sens de l’humour.

Des fois que je suis tout seul et un peu énervé, je mets en route la machine à claques. Les gifles se perdent dans l’air. Tiens, celle-là elle est pour les programmes ! Celle-ci, pour le ministre ! Celle-ci, ben elle est pour moi tien. Le salon vrombit de claques imaginaires, de gifles dans le vent. J’admire la mécanique parfaite de ma machine à claques, sa conception au plus près des besoins de l’utilisateur, sa manipulation intuitive. Elle a bien bossé, ma fille. Je lui ai conseillé de déposer un brevet et à son frère de bosser le sien.

Ca les a fait rire.

L’humour ça ne coûte pas cher et ça n’a pas de prix. Ça ne se retrouve pas sur e-bay. C’est du baume. C’est ce que j’emmènerais sur une île déserte, dans l’espoir qu’on m’y rejoigne.

c’est un jour pendant le confinement

C’est pendant le confinement, je ne sais plus lequel, il y a l’école à distance, à distance et de très loin, c’est nul. Comblant le vide en compagnie de Verlaine (« Va, tout est au mieux / Dans ce monde pire ! / Surtout laisse dire / Surtout sois joyeux »), néanmoins fou de ce quatrain – foutus poètes, hébétés éclairés, nantis du rien, du vide, des mots – en quête de réussite dans cette journée mal engagée, je me décide à enseigner les échecs à ma fille arguant qu’ils se jouent à deux et présentent ainsi l’intérêt d’être partagés, quand la réussite, paraît-il, se pratique seul.

Elle sait un peu, déjà. Je ne sais pas qui lui a appris.

Alors nous lançons de douces hostilités. Me prévenant prudemment : « Je suis nulle en échec et mat, mais je vais quand même gagner ». Son frère, du coup, lui aura appris les règles. Misant tout sur un coup du mouton mené par des petits chevaux qu’elle se plait à faire galoper à l’avant du front, l’ingénue Kasparova délaisse son arrière-garde composée d’une dame sans-gêne, d’un roi fainéant et de deux imbéciles qui vont et viennent en zigzag quand les chevaux sont à court d’haleine. Puisqu’elle prend le parti de la farce et la partie à la rigolade et qu’en plus c’est mon tour, je serre son roi entre les deux miennes (de tours) et c’en est fini. Elle m’épate mais ne me met pas pat.

J’accepte une revanche, mais une revanche, en revanche, en bonne et due forme : on prend les choses au sérieux et on écoute les conseils de son père. Elle n’écoute pas tant : belote et rebelote. Ou plus précisément échec et re-échec.

Pendant ce temps mon fils a la classe à la maison, donc la très grande classe, en pyjama notamment. Las de regarder les cavaliers de ma fille cabotiner, je lui cède ma place : qu’il continue donc l’instruction de sa petite sœur. Mais voilà qu’ils se chamaillent pour savoir qui va commencer, alors on dit que ce sont les blancs qui commencent, alors il faut choisir qui aura les blancs, alors on dit que celui qui commence la première partie ne commencera pas la deuxième, alors mon fils dit qu’il ne commencera de toute façon pas la deuxième parce qu’il a SVT à dix heures, alors nous tirons à pile ou face, mais il faut bien déterminer qui est pile et qui est face, alors nous tirons à pile ou face pour savoir qui est pile, mais il est pile dix heures, mon fils a son cours sur la reproduction, il ne veut vraiment, mais alors vraiment pas être en retard, et c’est ma fille qui commence, du coup. L’affaire est néanmoins de nouveau entendue en quelques minutes et nous remisons l’échiquier en haut de la bibliothèque afin qu’il prenne paisiblement la poussière ces dix prochaines années.

Mon fils est plus absorbé que jamais devant son écran. Ma fille tire les cartes et un peu la tronche. Je m’en remets à Verlaine, compagnon d’un jour de confinement : « Surtout sois joyeux / D’être une victime / A ces pauvres gens / Les dieux indulgents / Ont aimé ton crime. »

dix ans

Dix ans c’est le baroud d’honneur pour lequel la figure s’est imposée comme chaque année sous la forme d’un après-midi avec ses semblables assez dissemblables et les gamines ont bien profité de la piñata sous le figuier dont les branches sectionnées n’avaient pas pu faire office de toit de cabane, faute de temps, de talent, d’espace, de culture de la cabane, et dont l’une d’elle a permis de faire voler en éclat la baudruche endurcie à la colle d’où a jailli une nuée inespérée et pourtant attendue de bonbons aussi multicolores que dentophobes. Elles le font chaque année. Ca le fait chaque année. Nous avions gavé la baudruche copieusement, subtile mise en bouche avant le gâteau sur lequel les bougies ne se sont pas rallumées (les enfants grandissent), ce gâteau pour lequel on chante faux, qui anime les petits cœurs et fait briller les yeux d’une enfant qui ne le sera bientôt plus, depuis le temps que je le dis, que je le sais, que je le redoute, car après elle le déluge et le déluge n’augure rien de bon. Elle avait les yeux mouillés, c’est con de faire des enfants comme soi mais on ne contrôle pas. Elles ont ri aux éclats de la piñata et elles ont mis les assiettes dans le lave-vaisselle et c’est à ces détails électro-ménagers qu’on constate que ce ne sont plus les mêmes, et pourtant ce sont les mêmes chaque année, charmant cénacle haribophage que je m’amuse à voir grandir puisqu’il faut bien s’en amuser. Nous lui avons offert un jonc, je l’aurais aimé en or, elle l’a préféré en argent, ça valait moins d’argent, je n’ai pas insisté et j’ai été reconnaissant. Quand les derniers parents sont venus récupérer leur enfant, ma fille m’a dit merci, je lui ai dit que le plaisir avait été partagé et c’était vrai. Au rythme où vont les choses, la vie, les enfants, je ne suis pas certain qu’on occira la piñata pour ses onze ans. Nous verrons bien. Je ne tirerai ma révérence de papa gâteau au chocolat que lorsqu’il le faudra vraiment. Je lui ai confié que mon grand-père m’avait annoncé qu’on a à tout jamais deux chiffres à son âge à partir de ses dix ans, et que ça m’avait marqué. Je l’ai traumatisée. On n’a plus des breloques au poignet, mais de l’argent, à dix ans. On écoute l’excellent Aldebert avec moins d’amusement et une fine pellicule de poussière grise s’invite dans le décor des lego. C’est bien, on me dit que c’est bien, que c’est grandir, moi j’ai un problème avec l’enfance, ça me touche trop, l’enfance, un compte à régler ou des réminiscences, j’étais heureux, elle l’aura été aussi, nous avons fait ce que nous avons pu. Nous n’avons pas trop mal fait.

Allez va, dix ans c’est bien. « Je sais que c’est pas vrai » chantait la Souche.

Elle a mal au dos, elle chausse du 36 et elle écrit des mails. Je crois qu’elle écrit un roman, aussi. C’est bien, ça. Un roman.

Mon roman à moi c’est eux deux, le grand là, dans son informatique, ça me dépanne qu’il soit doué, c’est pratique, je ne comprends pas tout mais ça dépanne, lui ce n’est pas de la poussière dans ses lego, c’est de la poudreuse, je voudrais qu’il déneige mais il a encore à cœur de les avoir dans un coin, même si c’est pour l’exposition. La rétrospective. L’hommage : « 2007/2017, dix années de lego ». Quand il avait huit ans, il voulait faire Michel Delpech plus tard. Plus tard est arrivé, je ne sais pas trop où il en est de son projet.

Sa sœur est drôle, aussi. Elle me dit que c’étaient les dix plus belles années de sa vie. A qui le dit-elle. Je l’embrasse quand même quand elle se couche, le soir de ses dix ans, l’air de rien, je l’embrasse avec dignité, je ne lui dis pas à quel point j’ai aimé les zigouigouis miam-miam et le gâteau trop chocolaté de cette belle journée de mars où le printemps s’est montré un peu plus imminent que les années passées.

les étiquettes – blog de papa lion

Il ne faut pas coller des étiquettes aux gens, c’est un vilain défaut que j’ai toujours défendu à mes enfants sans pour autant être personnellement irréprochable, mais il faut dire qu’il y a des gens qui le cherchent. Il ne faut pas coller des étiquettes, sauf à l’hôpital, en particulier au premier sous-sol du hall 4, ou ma fille et moi faisons la queue avant de nous voir remettre une planche format A4 contenant une vingtaine d’étiquettes au nom de ma fille et au numéro de sécurité sociale de son père. Ma fille me demande si elle pourra en garder quelques-unes. Je suis plutôt confiant : peu probable que toutes les étiquettes soient collées dans la matinée. Et là d’un coup ça devient plus fun l’hôpital, parce que même à neuf ans bientôt dix – n’abordons pas le sujet – disposer d’une planche d’étiquettes à son nom, c’est la classe et ça valait la peine de la louper, ce matin-là, la classe.

On est à peu près sûrs d’en sortir vivant de cet hôpital et c’est assez précieux par les temps qui courent : il ne s’agit que d’une imagerie par résonance magnétique, un simple contrôle, rien de méchant, un mal de dos que j’attribue à la croissance et dont j’anticipe une guérison aussi prompte que naturelle, par le truchement de la thérapie par le moindre effort. Hélas mes compétences en médecine sont mal reconnues voire raillées dans la famille. A titre d’exemple je ne crois pas en l’existence des atomes, ou plutôt j’ai cessé d’y croire quand j’ai cessé d’y entendre, c’était en terminale scientifique, d’ailleurs je ne croyais pas trop non plus en cette terminale scientifique. J’ai néanmoins quelques convictions en matière de médecine, entre autres choses je crois à toutes les rémissions par les baisers à condition de ne pas s’en tenir à la posologie. Quand ma fille est revenue de l’école le dos plié en deux, il a bien fallu se résoudre à prendre rendez-vous au CHU.

Nous nous dirigeons donc rigolards vers le service d’imagerie en rivalisant de bons mots, et nous passerions presque un bon moment, étiquettes en main, si la signalisation lumineuse des corridors ne nous rappelait pas à quelque réalisme médical ; je détourne les yeux de la cancérologie et des services Covid (modique feuille de papier blanche scotchée à la porte battante, maudit signe des temps), ma fille ne prend pas le temps de lire, je feins de m’orienter avec maîtrise et flegme dans ce dédale ; en réalité je suis paumé et je transpire.

Nous trouvons néanmoins notre chemin à défaut de notre bonheur (nous l’avons déjà, chacun à côté de soi), et celui-là nous conduit au service d’imagerie médicale. C’est donc la fleur au fusil que entrons puisque, fin connaisseur de la psychologie enfantine et des hôpitaux, j’ai pris soin d’accompagner ma fille à son IRM comme en toute circonstance, c’est-à-dire avec détente et pas mal d’amour sous la charlotte. La réalité nous a rattrapés dans la salle d’attente, où semblait ne plus vraiment attendre une dame allongée dans un brancard, entubée de partout, en tenue d’après-combat, sous les draps jaunes de l’hôpital public, ce jaune pisseux mais qui en a vu d’autres. J’ai cru sentir ma main se crisper ; c’était celle de ma fille. J’aurais dû la préparer à ça. Tous les patients qui passent un IRM n’ont pas forcément des étiquettes dans une main et un papa dans l’autre, et certains patients sont là pour de bonnes raisons.

Elle passe malgré tout son examen avec succès, encore heureux c’est une fille d’instit. Mais alors que nous nous éloignons du CHU, je sens bien qu’il y a comme un petit nuage dans le ciel bleu de ses jolis yeux marron, alors tant pis je crève l’abcès et lui rappelle combien il est incongru de ressortir d’un hôpital de moins bonne humeur qu’on y est entré. Elle me rappelle la dame dans son brancard, je m’y attendais un peu. Je lui explique que l’hôpital est souvent inhospitalier puis je change de sujet : je rebondis sur les étiquettes. Mais les étiquettes, les dames en ont collées trois, avant de jeter les autres.

De toute façon, elle avait changé d’avis. Elle les aurait jetées aussi.

Noël

C’est dans le train et c’est sans doute dans le train qu’on passe les plus beaux moments de notre vie, le défilé des paysages aidant, n’en déplaise aux coups de pied dans le dossier, et par la grâce d’un transporteur ferroviaire optimisant les places au point que nous étions quichés à trois, comme dans un avion nous emmenant à l’autre bout du monde, l’autre bout du monde étant la Normandie qui constitue si l’on y pense bien, que l’on fait un effort d’appréciation, qu’on pèse le meilleur et le contre de cette drôle d’année et pour peu qu’on fasse l’effort de voir le bon côté de la fin de 2020, un authentique Eldorado. C’est dans ce TGV à trois places assises que j’ai proposé à mon petit amour de grande fille et c’est à syntaxe inversable, c’est dans ce train que j’ai soumis à ma fille le plus con des pendus et que je ne lui ai donné pas plus de trente secondes pour sauver l’affreux pourfendu de son imminent destin. Pourquoi les enfants se régalent-ils de ces exécutions de cruciverbistes ? 

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Je lui ai donné pour indice la perspective d’une lettre sésame et mis une certaine pression. Je lui ai promis qu’on rigolerait bien, elle souriait déjà. 

Les innombrables A n’ont pas suffi, pourtant elle est intelligente en plus d’être belle et d’être ma fille, ma fille. 

A _ _ A _ A _ A _ _ A

Sous l’impulsion de quelque indice malicieux, elle a fini par trouver mon abracadabra. Et nous avons bien ri. Puis je lui ai tracé des labyrinthes et quadrillé des mots croisés bidonnesques et nous sommes enfin arrivés chez nous. Je lui ai fait cent fois le coup du carnet de jeux impromptu, incapable que je suis de lui en acheter un avant le voyage. C’est du one shot. Du made home. Du made in train. Je crois qu’elle aime bien. 

Le séjour en Normandie fut court, mais salvateur pour mon fils soudain pris d’une irrésistible manie de revendiquer son éphémère et père passé normand, trois mois dans la boue et la bruine, à vomir dans son porte-bébé et nous faire passer des nuits d’ivoire. C’était il y a son âge. Il ne connaissait rien de Vernon et se représente dorénavant deux sorties d’autoroute car le fier enfant est né dans une cité qui en compte deux, celle qui longe la Seine (13) et celle qui descend droit sur la ville (14), suffisamment pour qu’il fanfaronne et s’invente la vie qu’il n’a pas eue : « et si vous n’aviez pas déménagé » ? 

Eh bien tu aurais joué dans la boue mon coco. 

Nous traversons la France et nos courtes vies. Les mots se croisent comme les routes et notre destin familial. Dans le train, j’aime trop, trop les enfants avec qui je voyage sereinement, à travers la France et le temps, trop mes proches dont je m’éloigne, trop celle qui déneige quand je dégèle, dans le train j’aime trop. 

Noël fait l’effet d’une turbine. A bon port, je me calme un peu, et je pense encore un peu, le pouls redescendu, l’effet fêtes apaisé, le temps qui passe passé, à cette vie qui passe à la vitesse des trains. 

choisir son costume – blog de papa lion

Avec un aplomb pas possible en ces temps de Covid, la maîtresse prévoit un ramdam théâtral pour Noël, et ce sera filmé pour si nous n’avons pas le droit de venir applaudir nos jeunes premiers du fait des fantaisies du confinement, ce qui sous-entend que nous nous contenterons d’une vidéo. Je l’admire cette femme. Poser la, comme ça, sur la table, que les élèves joueront une pièce de théâtre clandestine à Noël, je trouve ça délicieusement rebelle, irrévérencieux, interlope, ce qui d’ailleurs ne lui ressemble pas, si l’on en juge à sa gestion de classe (on comprend), à ses choix de chanson de Noël (on compatit), à sa pédagogie plus que traditionnelle (au moins on s’y retrouve), à son look plus qu’arrière-gardiste (on s’en fout). Ou c’est qu’elle n’est pas bien au fait de l’actualité. Ou alors qu’elle a des passe-droits à l’Inspection (pour ma part, je n’ai pas le droit d’emmener mes élèves à la natation ; le Covid a sur ce point-là du bon).

Le texte, le décor, l’intention, le théâtre en milieu stérile, tout cela reste à préciser, mais nous en savons un peu déjà sur les costumes, et les costumes, pour des enfants, c’est bien la seule chose qui compte. Pour les parents aussi du reste, attendu qu’une participation financière non-négligeable est demandée aux familles, justifiée notamment par la confection.

Alors c’est au choix, à la nuance près que je n’ai pas bien compris qui le fera, ce choix – ma fille est persuadée que ce seront les élèves, je suppose que c’est la maîtresse qui tranchera, si toutefois le projet va au bout, et vu qu’on est tous à bout… M’est avis que les intermittents du spectacle rient jaune et sous cape : une pièce de théâtre à Noël ! Choix du costume non cornélien (ils ne sont qu’au CM1) mais tout de même, ce n’est pas rien et ça se réfléchit à l’avance : ils seront dindons et dindes, ou princes et princesses. Père Castor ou Michel Ocelot, en quelque sorte.

Tête brulée la maitresse, mais pas au point de demander aux familles de choisir ; j’aurais probablement été le seul parent à opter pour la dinde. Oui parce que ma fille en princesse j’ai déjà vu, j’en ai fait le tour, elle a été princesse rose, puis bleue, et quel que fût son costume j’ai très vite compris qu’il ne faisait pas plus la princesse que le moine, même dans l’enseignement catholique. S’il m’était donné la possibilité de choisir son rôle, ma gamine ne serait pas EN princesse puisqu’elle EST princesse, elle est princesse à tout bout de champ, elle est princesse quand je la réveille et qu’elle sourit avant même d’ouvrir les yeux, elle est princesse quand elle dessine des princesses, elle est princesse quand elle me donne la main ou plutôt qu’elle accepte que je lui donne la mienne, car le temps, par petites touches, rend certaines habitudes moins habituelles, elle est princesse quand elle est vilaine, elle est princesse quand elle range son ours dans son sac à viande et qu’elle part une semaine entière dans son autre principauté.

Alors j’espère qu’elle jouera le rôle d’une dinde, une dinde belle à croquer, et tant pis si ça glousse. Je me demande à quoi ressemble un costume de dinde. Une si jolie gamine en dinde. Je veux voir ça. Mes élèves à moi en costume de dinde ça ferait des dindes d’élevage mal élevées, une très basse-cour de récréation, vu qu’ils sont gras comme des chapons et pas plus vifs que les pintadeaux. Mais ma fille, glissez-là dans un costume de dinde, elle donnera la plus belle farce de l’histoire de l’humanité.

Ou du théâtre filmé.

Vivement Noël.