La Machine à claques

Je n’étais pas chaud pour mon anniversaire et encore moins inspiré alors, quand ils m’ont demandé ce que je voulais, j’ai répondu « la paix » ; ça c’est la blague de mon frère, je l’aime beaucoup, la blague, je l’aime aussi beaucoup aussi mon frère mais la paix on ne l’obtient jamais. La faute aux années ? On ne va pas se mentir comme disent les jeunes (les moins de cinquante), avec les années qui passent on l’a de moins en moins, la paix, la paix intérieure là, la sérénité. On ne la demande plus que du bout des lèvres. Bah. Ce n’est pas grave car il suffit de changer d’inspiration et de position pour dormir. Mais comme l’inspiration ne venait pas j’ai ressorti une vieille blague, c’est bien pour ça les anniversaires, pour les vieilles blagues, et je leur ai répondu que je voulais une machine à claques. Mais une vraie bonne machine à claques, avec démarrage instantané et mécanique anti-grippage.

Je l’ai eue, et ce n’était pas un cadeau en carton, bien que quand même en carton ; j’ai rarement autant ri en déballant. Une authentique machine à claques made in à la Maison (donc in France). Une pièce unique, m’a fièrement dit ma fille. Son seul défaut, un U qui manque à « claques ». Une malfaçon de la meilleure façon.  

machine à claques

A présent c’est l’anniversaire de mon fils et comme il a à peu près tout pour être heureux, enfin je crois, même si ce n’est pas flagrant au réveil, même s’il ne dit plus qu’il vivra avec moi toute sa vie, même si même si, eh bien là, cette année, il manque d’idées. Ça sonne un peu occidental et purulent ça, et les grincheux crieront à l’enfant gâté, mais ouais il a déjà tout, ouais, il est gâté, ouais, il est beau, il est intelligent, il fait de la vidéo, des fois il lit, et il a même de l’humour quand il n’est pas devant son écran d’ordinateur. Mon fils, c’est ma brindille brillante. Il a une drôle de voix depuis quelques mois, mais ça c’est plutôt marrant.

Comme il a de l’humour mais que moi, je n’en ai pas toute la journée (ce n’est pas en flux tendu l’humour, des fois c’est maladroit, c’est loupé, c’est à se fourrer la tête dans la machine à claques 400 tours/minute), je lui ai dit qu’en l’absence de réponse enthousiaste à la question « que veux-tu pour ton anniversaire mon petit lapin boudeur de 14 ans ? », je ne lui offrirais rien. Ça ne l’a pas fait rire.

Quitte à ne pas se mentir, enfonçons une porte ouverte : la vie n’est pas toujours drôle. Surtout avec moi, finalement. Mes élèves ont le droit de faire une blague par semaine et exclusivement le vendredi après-midi. Alors bien sûr les mêmes grincheux que là-haut diront que ce n’est pas beaucoup, une blague par semaine, qu’il faut donner la parole aux petits êtres qui ont plein de fraicheur à exprimer et que Maria Montessori avait beaucoup d’humour (mouais…), à quoi les instituteurs embouteillés (ceux qui ont de la bouteille, pas ceux qui boivent ! ) répondront que c’est déjà trop, une blague par semaine parce qu’il faut les entendre les blagues de CM2 : Toto se retourne dans sa tombe chaque vendredi après-midi ; rendez-nous le Belge, l’Américain et le Français ! Une blague par semaine. L’autre fois, j’en ai un qui m’a dit que j’avais un truc, là, en désignant vaguement mon épaule. J’ai regardé, ben je n’avais rien, là. Il m’a dit « mais non c’est une blague maître ». Je ne réagissais pas, je le regardais dans les yeux, consterné mais non-violent, ça c’est un truc qu’on n’apprend pas à l’IUFM mais qui vient très vite, la consternation non-violente, alors il s’est justifié, « vous avez un truc mais c’est ma blague, maître », je réagissais toujours aussi peu, ma consternation enflait, ma non-violence était mise à mal, « parce qu’on est vendredi, maître », je me retenais, « la blague du vendredi, maître », continuait-il de se justifier, et comme il n’avait plus son petit sourire de morpion et qu’il avait perdu sa belle assurance (en général, c’est la MAE), j’en suis retourné à ma leçon ; d’ailleurs j’avais digressé, je dis de ces trucs des fois, j’étais en train de leur expliquer qu’on dit « les yeux » mais « une paire d’yeux », bref un truc qui n’est pas au programme, mais les programmes moi je ne les lis pas, je les emmerde tout autant que ceux qui les écrivent avec leurs pieds, et ça c’est vraiment un sujet qui me fait perdre mon sens de l’humour.

Des fois que je suis tout seul et un peu énervé, je mets en route la machine à claques. Les gifles se perdent dans l’air. Tiens, celle-là elle est pour les programmes ! Celle-ci, pour le ministre ! Celle-ci, ben elle est pour moi tien. Le salon vrombit de claques imaginaires, de gifles dans le vent. J’admire la mécanique parfaite de ma machine à claques, sa conception au plus près des besoins de l’utilisateur, sa manipulation intuitive. Elle a bien bossé, ma fille. Je lui ai conseillé de déposer un brevet et à son frère de bosser le sien.

Ca les a fait rire.

L’humour ça ne coûte pas cher et ça n’a pas de prix. Ça ne se retrouve pas sur e-bay. C’est du baume. C’est ce que j’emmènerais sur une île déserte, dans l’espoir qu’on m’y rejoigne.

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