A bien y réfléchir, le charme des stations balnéaires exhale surtout l’hiver : journées courtes, chocolat chaud, jeux de société hors d’âge près du radiateur hors d’usage ; nous n’avons pas de sable collé entre les orteils ni le temps de nous ennuyer sur la plage. Nous devions célébrer Noël à Paris, mais le Covid nous a entubés. Ce ne fut rien de grave, un Noël Covid et donc variant du quotidien, un Noël au balcon, face à la mer, la plage à défaut des pavés.
Nous trompons un peu l’ennui à notre façon et disons donc n’importe quoi. Pour changer du Covid, les enfants m’imaginent avec Alzheimer, ce n’est pas forcément drôle mais ça nous fait rire, on peut rire de tout tant que c’est entre nous, et donc vraiment pas avec n’importe qui. Je les préviens ; quand j’aurai Alzheimer, contre qui plus personne ne recherche le moindre remède, je t’appellerai Churros. Et toi, je t’appellerai du nom de ta sœur. Ainsi passons-nous l’après-midi à nous nommer Churros et E., et moi ce sera Pizza, on rit comme des débiles et ça participe au charme de l’unité de lieu (la mer), de temps (il fait moche), d’action (on ne fout pas grand-chose), ça réchauffe un peu l’atmosphère, parce qu’ils portent tous un peu les masques, les petits vieux qui marchent le long de la mer, dans notre station balnéaire, en ce jour de décembre venteux, et pour me réchauffer l’atmosphère je me décapsule une petite mousse parce c’est bien gentil, la règle des unités, mais c’est comme ça qu’à la fin on boit l’eau.
Mes deux unités et moi recevons un autre sacré trio, un très joly trio familier de cette plage et nous n’avons pas changé, ni la plage, ni eux ni nous, nous disons n’importe quoi et ne faisons pas mieux, n’ayant guère mieux à faire. Nous passons un court mais parfait moment. Ce sont les mêmes qu’il y a huit ans, les enfants ont grandi, ce n’en sont peut-être plus tout à fait, les deux papas n’ont pas changé. Enfin…Et puis c’est de nouveau tous les trois, quatre avec le drone du père Noël, que mon fils pilote timidement sur un coin de plage pendant que je me vautre dans le sable, me demandant si ce sont les mêmes grains de sable qu’il y a huit ans, stupéfait devant la force des érosions, attendri devant les yeux d’enfant de l’enfant devant mes yeux, arc-bouté aux tout petits rayons de sable. Et puis c’est déjà la nuit alors nous remontons, surtout que les goélands s’approchent du drone et de mon fils d’un air vide, avide, un peu Covid.
Bière fraiche chocolat chaud, je sieste, ils jouent, nous faisons un jeu de sosiesté. Churros me demande pourquoi je suis toujours drôle et mélancolique, je lui dis qu’il y a suffisamment d’imbéciles heureux, elle trouve ça très mélancolique et pas très drôle et puis je crois qu’elle renonce. Nous filons le temps, trainons comme le temps, nous l’étreignons.
Je crois que je voudrai vivre à la mer plus tard, compter les vagues comme les vieux et les goélands. Je raconterai n’importe quoi et à n’importe qui dorénavant, et puis je chercherai les traces de pas dans le sable. Mais ce n’est pas encore temps et puis nous ne sommes pas chez nous. Alors nous profitons d’une dernière soirée, le vent tape contre les baies vitrées, s’engouffre un peu dans les chambres mal chauffées, c’est d’un charme hivernal, glacial, ça me plaît beaucoup. Je crois que ça plaît aussi à Churros et à E. Nous reviendrons dans huit ans.