C’est dans le train et c’est sans doute dans le train qu’on passe les plus beaux moments de notre vie, le défilé des paysages aidant, n’en déplaise aux coups de pied dans le dossier, et par la grâce d’un transporteur ferroviaire optimisant les places au point que nous étions quichés à trois, comme dans un avion nous emmenant à l’autre bout du monde, l’autre bout du monde étant la Normandie qui constitue si l’on y pense bien, que l’on fait un effort d’appréciation, qu’on pèse le meilleur et le contre de cette drôle d’année et pour peu qu’on fasse l’effort de voir le bon côté de la fin de 2020, un authentique Eldorado. C’est dans ce TGV à trois places assises que j’ai proposé à mon petit amour de grande fille et c’est à syntaxe inversable, c’est dans ce train que j’ai soumis à ma fille le plus con des pendus et que je ne lui ai donné pas plus de trente secondes pour sauver l’affreux pourfendu de son imminent destin. Pourquoi les enfants se régalent-ils de ces exécutions de cruciverbistes ?
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Je lui ai donné pour indice la perspective d’une lettre sésame et mis une certaine pression. Je lui ai promis qu’on rigolerait bien, elle souriait déjà.
Les innombrables A n’ont pas suffi, pourtant elle est intelligente en plus d’être belle et d’être ma fille, ma fille.
A _ _ A _ A _ A _ _ A
Sous l’impulsion de quelque indice malicieux, elle a fini par trouver mon abracadabra. Et nous avons bien ri. Puis je lui ai tracé des labyrinthes et quadrillé des mots croisés bidonnesques et nous sommes enfin arrivés chez nous. Je lui ai fait cent fois le coup du carnet de jeux impromptu, incapable que je suis de lui en acheter un avant le voyage. C’est du one shot. Du made home. Du made in train. Je crois qu’elle aime bien.
Le séjour en Normandie fut court, mais salvateur pour mon fils soudain pris d’une irrésistible manie de revendiquer son éphémère et père passé normand, trois mois dans la boue et la bruine, à vomir dans son porte-bébé et nous faire passer des nuits d’ivoire. C’était il y a son âge. Il ne connaissait rien de Vernon et se représente dorénavant deux sorties d’autoroute car le fier enfant est né dans une cité qui en compte deux, celle qui longe la Seine (13) et celle qui descend droit sur la ville (14), suffisamment pour qu’il fanfaronne et s’invente la vie qu’il n’a pas eue : « et si vous n’aviez pas déménagé » ?
Eh bien tu aurais joué dans la boue mon coco.
Nous traversons la France et nos courtes vies. Les mots se croisent comme les routes et notre destin familial. Dans le train, j’aime trop, trop les enfants avec qui je voyage sereinement, à travers la France et le temps, trop mes proches dont je m’éloigne, trop celle qui déneige quand je dégèle, dans le train j’aime trop.
Noël fait l’effet d’une turbine. A bon port, je me calme un peu, et je pense encore un peu, le pouls redescendu, l’effet fêtes apaisé, le temps qui passe passé, à cette vie qui passe à la vitesse des trains.
Oh… j’espère que l’overdose d’amour aura eu raison de ses maux… J’ai toujours plaisir à lire vos aventures, mais je les préfère plus sereines.