Ma fille me dit que je peux tomber dans les pommes et qu’elle saura quoi faire, je n’ai pas très envie de claquer mais on insiste, alors avant de me laisser convaincre je me renseigne tout de même, t’inquiète me fait-elle comprendre, tombe dans les pommes et tu verras, je ne suis pas sûr de bien voir en tournant de l’œil mais c’est urgent alors je m’étale de tout mon poids sur un carrelage un peu froid et il faut reconnaître qu’ils les ont bien formés à l’école parce qu’elle garde son sang froid et me demande instantanément de faire le un-un-deux ; comme je ne suis pas en état de répondre, mon premier secours me prodigue les premières secousses : papa, réveille-toi, il faut vraiment que tu fasses le un-un-deux. Elle se fait du mouron à mesure que je me fais mourant : Papa, allez, fais le un-un-deux !
C’est perfectionnable.
C’est bien qu’ils apprennent ça ces petits, ils sauveront des vies c’est sûr. J’espère que ce ne sera pas la mienne. Mais si ça devait l’être j’aimerais que ce soit elle.
Depuis sa formation aux premiers secours ma petite infirmière est persuadée que je peux mourir à tout instant. Pas faux. Mais tout de même : mets ton casque, range le couteau, tourne le manche de la poêle vers le mur et sèche bien tes mains avant de brancher le mixeur. (Roule prudemment sur la piste recyclable). Faudrait pas porter la scoumoune gros bébé !
Dans la poêle dont le manche est dorénavant puni face au mur cuisent des lardons. C’est dégueulasse les lardons, plein d’antibiotiques et de colorants et de conservateurs et de gras. On y aurait décelé du porc. Mais les carbonara sans lardons c’est fade, ma secouriste veut bien les essayer, les pélardons dans les pates, elle confond tout, tout fond c’est con mais c’est bon. On carbone à ras. Le grand frère qui sait tout se met en évidence : Papa, tu savais que le Nil…ouaouh, il va m’en mettre plein la vue…ben le Nil…quand même, quelle tronche ce gosse…ben le Nil, est-ce que tu savais que c’est le plus grand fleuve…punaise il est bon…ben le Nil c’est le plus grand fleuve de France. Tu le savais ça Papa ? Le Nil, le plus grand fleuve de France ? Punaise, il est vraiment bon.
Ushuaia est encore au stade du gel douche. Mon intello déguisé en Kirikou chausse du 33 mais l’orteil touche le bon bout.
J’enlève les pélardons des pâtes à la plus rien du tout pour ma fille. Je géographise mon fils. J’éduque à la Dusnek, les sages sauront.
Nous jouons au ping-pong avec des balles couleur kaki qui depuis peu est orange. Ca doit être plein de vitamines ça, mais c’est dégueu. Je sors le tube d’acérola, je confonds tout moi aussi et nous rigolons beaucoup.
Mon fils va avoir dix ans. C’est là, demain, une semaine, dix jours et ça fera dix ans qu’il est tout petit. Paf. Je cours après le tant qu’il est petit. Comme il est encore tout petit il me reste du temps, à dix ans il sera mon grand et pas tant. Ma fille b-a-bate, je suis béat. L’enfance s’ébat.
Je me suis à présent ouvert le bras en bricolant. Ca pisse le sang. C’est un scénario à deux balles, ma fille pense que je peux pisser le sang quand je bricole avec un pauvre tournevis. Ma fille panse car je pisse le sang : elle appuie et rit. Quel sang froid. Je suis mort, deux rires. Je n’ai pas à m’inquiéter : elle a appris à faire une compassion, à l’école. Moi qui allais bien, je me sens déjà mieux.
Que Bébé Lion prenne du grade et devienne « ma fille » ou « ma petite infirmière » : ça laisse à panser.
ça reste un bébé en privé.