Le jus, le matin.

Avoir le jus, le matin.

Ce n’est pas facile les lundis matin, il faut ouvrir les yeux avec les mains. Je caresse les joues chaudes, certains gestes familiers sont à la fois douloureux et agréables. J’annonce un bon déjeuner à mes deux croissants, comme chaque matin. C’est présomptueux et routinier. Con comme un rituel. Peut-être qu’ils n’aiment pas et qu’ils ne l’ont jamais dit. Je remonte, je surveille un peu le café comme le lait sur le feu. Ca sent bon, je redescends, je cherche les starters. Puis c’est le feu.  

Histoire de me lever encore dix minutes plus tôt, j’ai acheté un extracteur de fruits super génial, une petite bombe atomique et domestique, diététique et même esthétique : il n’occupe pas plus de la moitié du plan de travail. Pas terrible comme nom ça, plan de travail. Ça me rappelle l’école. Couleur carmin crème, technologie vis sans fin, plaisir sans fin, ni soif, vite, à (bonne) mine et détox. Grand seigneur, le fabricant me l’a expédié accompagné de son petit fascicule qui suggère d’extraire le jus des brocolis, des épinards, du romanesco, des roma and co, de trucs verts et rouges dont la méconnaissance gâchait jusque-là ma vie. 

Ma fille l’appelle Jus-jus. J’appelle ma fille Bébé. Ce n’est pas moins bête. 

Mais les envies ça se partage et mes enfants ont surtout envie de jus de pomme et d’orange quand c’est de leur lit qu’on les extrait. Alors on extrait surtout du jus de pomme et d’orange, on se marre bien parce que ça fait sortir des crottes oranges de la machine et puis c’est quand même méga bon même s’il suffisait de croquer dedans. J’introduis subrepticement des bouts de carottes, on constate qu’il n’a pas exactement le même goût que la fois précédente, je mens à propos du ratio pommes / oranges et fais remarquer qu’il est quand même sept heures trente-deux.

Mon extracteur tourne aussi les semaines sans les enfants. Je pourrais broyer du céleri quand ils ne sont pas là mais je m’en tiens à la pomme et à l’orange. C’est chou et ce n’est pas rave. Je mange bio, j’essaie de broyer davantage d’oranges que de noir, je vivrai cent ans. 

J’aime beaucoup brosser ses cheveux emmêlés aux alentours de sept heures quarante-trois, j’aimerais qu’il soit un peu plus tôt mais ça sent le départ, son cou la nuit et le salon le café.

Je n’ai jamais le temps de nettoyer mon extracteur de jus le matin. Je le retrouve dans l’évier en rentrant, pathétique et démantelé. La pulpe s’est solidifiée, c’est galère, je porte un coup fatal à la planète en le nettoyant à grand jet. Mon fils me fait remarquer qu’il se vend des jus en bouteille dans la plupart des supermarchés. 

Il parait que les vitamines des fruits s’évaporent si on tarde à boire leur jus. Il fait un bruit de dingue cet appareil, ils forment avec la machine à café un duo d’enfer. Le genre qui réveille les enfants le week-end, mais jamais les jours d’école. Ce n’est pas plus mal : expert ès père, j’aime encore donner la main pour ouvrir les yeux. 

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