dix ans

Dix ans c’est le baroud d’honneur pour lequel la figure s’est imposée comme chaque année sous la forme d’un après-midi avec ses semblables assez dissemblables et les gamines ont bien profité de la piñata sous le figuier dont les branches sectionnées n’avaient pas pu faire office de toit de cabane, faute de temps, de talent, d’espace, de culture de la cabane, et dont l’une d’elle a permis de faire voler en éclat la baudruche endurcie à la colle d’où a jailli une nuée inespérée et pourtant attendue de bonbons aussi multicolores que dentophobes. Elles le font chaque année. Ca le fait chaque année. Nous avions gavé la baudruche copieusement, subtile mise en bouche avant le gâteau sur lequel les bougies ne se sont pas rallumées (les enfants grandissent), ce gâteau pour lequel on chante faux, qui anime les petits cœurs et fait briller les yeux d’une enfant qui ne le sera bientôt plus, depuis le temps que je le dis, que je le sais, que je le redoute, car après elle le déluge et le déluge n’augure rien de bon. Elle avait les yeux mouillés, c’est con de faire des enfants comme soi mais on ne contrôle pas. Elles ont ri aux éclats de la piñata et elles ont mis les assiettes dans le lave-vaisselle et c’est à ces détails électro-ménagers qu’on constate que ce ne sont plus les mêmes, et pourtant ce sont les mêmes chaque année, charmant cénacle haribophage que je m’amuse à voir grandir puisqu’il faut bien s’en amuser. Nous lui avons offert un jonc, je l’aurais aimé en or, elle l’a préféré en argent, ça valait moins d’argent, je n’ai pas insisté et j’ai été reconnaissant. Quand les derniers parents sont venus récupérer leur enfant, ma fille m’a dit merci, je lui ai dit que le plaisir avait été partagé et c’était vrai. Au rythme où vont les choses, la vie, les enfants, je ne suis pas certain qu’on occira la piñata pour ses onze ans. Nous verrons bien. Je ne tirerai ma révérence de papa gâteau au chocolat que lorsqu’il le faudra vraiment. Je lui ai confié que mon grand-père m’avait annoncé qu’on a à tout jamais deux chiffres à son âge à partir de ses dix ans, et que ça m’avait marqué. Je l’ai traumatisée. On n’a plus des breloques au poignet, mais de l’argent, à dix ans. On écoute l’excellent Aldebert avec moins d’amusement et une fine pellicule de poussière grise s’invite dans le décor des lego. C’est bien, on me dit que c’est bien, que c’est grandir, moi j’ai un problème avec l’enfance, ça me touche trop, l’enfance, un compte à régler ou des réminiscences, j’étais heureux, elle l’aura été aussi, nous avons fait ce que nous avons pu. Nous n’avons pas trop mal fait.

Allez va, dix ans c’est bien. « Je sais que c’est pas vrai » chantait la Souche.

Elle a mal au dos, elle chausse du 36 et elle écrit des mails. Je crois qu’elle écrit un roman, aussi. C’est bien, ça. Un roman.

Mon roman à moi c’est eux deux, le grand là, dans son informatique, ça me dépanne qu’il soit doué, c’est pratique, je ne comprends pas tout mais ça dépanne, lui ce n’est pas de la poussière dans ses lego, c’est de la poudreuse, je voudrais qu’il déneige mais il a encore à cœur de les avoir dans un coin, même si c’est pour l’exposition. La rétrospective. L’hommage : « 2007/2017, dix années de lego ». Quand il avait huit ans, il voulait faire Michel Delpech plus tard. Plus tard est arrivé, je ne sais pas trop où il en est de son projet.

Sa sœur est drôle, aussi. Elle me dit que c’étaient les dix plus belles années de sa vie. A qui le dit-elle. Je l’embrasse quand même quand elle se couche, le soir de ses dix ans, l’air de rien, je l’embrasse avec dignité, je ne lui dis pas à quel point j’ai aimé les zigouigouis miam-miam et le gâteau trop chocolaté de cette belle journée de mars où le printemps s’est montré un peu plus imminent que les années passées.

les étiquettes – blog de papa lion

Il ne faut pas coller des étiquettes aux gens, c’est un vilain défaut que j’ai toujours défendu à mes enfants sans pour autant être personnellement irréprochable, mais il faut dire qu’il y a des gens qui le cherchent. Il ne faut pas coller des étiquettes, sauf à l’hôpital, en particulier au premier sous-sol du hall 4, ou ma fille et moi faisons la queue avant de nous voir remettre une planche format A4 contenant une vingtaine d’étiquettes au nom de ma fille et au numéro de sécurité sociale de son père. Ma fille me demande si elle pourra en garder quelques-unes. Je suis plutôt confiant : peu probable que toutes les étiquettes soient collées dans la matinée. Et là d’un coup ça devient plus fun l’hôpital, parce que même à neuf ans bientôt dix – n’abordons pas le sujet – disposer d’une planche d’étiquettes à son nom, c’est la classe et ça valait la peine de la louper, ce matin-là, la classe.

On est à peu près sûrs d’en sortir vivant de cet hôpital et c’est assez précieux par les temps qui courent : il ne s’agit que d’une imagerie par résonance magnétique, un simple contrôle, rien de méchant, un mal de dos que j’attribue à la croissance et dont j’anticipe une guérison aussi prompte que naturelle, par le truchement de la thérapie par le moindre effort. Hélas mes compétences en médecine sont mal reconnues voire raillées dans la famille. A titre d’exemple je ne crois pas en l’existence des atomes, ou plutôt j’ai cessé d’y croire quand j’ai cessé d’y entendre, c’était en terminale scientifique, d’ailleurs je ne croyais pas trop non plus en cette terminale scientifique. J’ai néanmoins quelques convictions en matière de médecine, entre autres choses je crois à toutes les rémissions par les baisers à condition de ne pas s’en tenir à la posologie. Quand ma fille est revenue de l’école le dos plié en deux, il a bien fallu se résoudre à prendre rendez-vous au CHU.

Nous nous dirigeons donc rigolards vers le service d’imagerie en rivalisant de bons mots, et nous passerions presque un bon moment, étiquettes en main, si la signalisation lumineuse des corridors ne nous rappelait pas à quelque réalisme médical ; je détourne les yeux de la cancérologie et des services Covid (modique feuille de papier blanche scotchée à la porte battante, maudit signe des temps), ma fille ne prend pas le temps de lire, je feins de m’orienter avec maîtrise et flegme dans ce dédale ; en réalité je suis paumé et je transpire.

Nous trouvons néanmoins notre chemin à défaut de notre bonheur (nous l’avons déjà, chacun à côté de soi), et celui-là nous conduit au service d’imagerie médicale. C’est donc la fleur au fusil que entrons puisque, fin connaisseur de la psychologie enfantine et des hôpitaux, j’ai pris soin d’accompagner ma fille à son IRM comme en toute circonstance, c’est-à-dire avec détente et pas mal d’amour sous la charlotte. La réalité nous a rattrapés dans la salle d’attente, où semblait ne plus vraiment attendre une dame allongée dans un brancard, entubée de partout, en tenue d’après-combat, sous les draps jaunes de l’hôpital public, ce jaune pisseux mais qui en a vu d’autres. J’ai cru sentir ma main se crisper ; c’était celle de ma fille. J’aurais dû la préparer à ça. Tous les patients qui passent un IRM n’ont pas forcément des étiquettes dans une main et un papa dans l’autre, et certains patients sont là pour de bonnes raisons.

Elle passe malgré tout son examen avec succès, encore heureux c’est une fille d’instit. Mais alors que nous nous éloignons du CHU, je sens bien qu’il y a comme un petit nuage dans le ciel bleu de ses jolis yeux marron, alors tant pis je crève l’abcès et lui rappelle combien il est incongru de ressortir d’un hôpital de moins bonne humeur qu’on y est entré. Elle me rappelle la dame dans son brancard, je m’y attendais un peu. Je lui explique que l’hôpital est souvent inhospitalier puis je change de sujet : je rebondis sur les étiquettes. Mais les étiquettes, les dames en ont collées trois, avant de jeter les autres.

De toute façon, elle avait changé d’avis. Elle les aurait jetées aussi.

Noël

C’est dans le train et c’est sans doute dans le train qu’on passe les plus beaux moments de notre vie, le défilé des paysages aidant, n’en déplaise aux coups de pied dans le dossier, et par la grâce d’un transporteur ferroviaire optimisant les places au point que nous étions quichés à trois, comme dans un avion nous emmenant à l’autre bout du monde, l’autre bout du monde étant la Normandie qui constitue si l’on y pense bien, que l’on fait un effort d’appréciation, qu’on pèse le meilleur et le contre de cette drôle d’année et pour peu qu’on fasse l’effort de voir le bon côté de la fin de 2020, un authentique Eldorado. C’est dans ce TGV à trois places assises que j’ai proposé à mon petit amour de grande fille et c’est à syntaxe inversable, c’est dans ce train que j’ai soumis à ma fille le plus con des pendus et que je ne lui ai donné pas plus de trente secondes pour sauver l’affreux pourfendu de son imminent destin. Pourquoi les enfants se régalent-ils de ces exécutions de cruciverbistes ? 

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Je lui ai donné pour indice la perspective d’une lettre sésame et mis une certaine pression. Je lui ai promis qu’on rigolerait bien, elle souriait déjà. 

Les innombrables A n’ont pas suffi, pourtant elle est intelligente en plus d’être belle et d’être ma fille, ma fille. 

A _ _ A _ A _ A _ _ A

Sous l’impulsion de quelque indice malicieux, elle a fini par trouver mon abracadabra. Et nous avons bien ri. Puis je lui ai tracé des labyrinthes et quadrillé des mots croisés bidonnesques et nous sommes enfin arrivés chez nous. Je lui ai fait cent fois le coup du carnet de jeux impromptu, incapable que je suis de lui en acheter un avant le voyage. C’est du one shot. Du made home. Du made in train. Je crois qu’elle aime bien. 

Le séjour en Normandie fut court, mais salvateur pour mon fils soudain pris d’une irrésistible manie de revendiquer son éphémère et père passé normand, trois mois dans la boue et la bruine, à vomir dans son porte-bébé et nous faire passer des nuits d’ivoire. C’était il y a son âge. Il ne connaissait rien de Vernon et se représente dorénavant deux sorties d’autoroute car le fier enfant est né dans une cité qui en compte deux, celle qui longe la Seine (13) et celle qui descend droit sur la ville (14), suffisamment pour qu’il fanfaronne et s’invente la vie qu’il n’a pas eue : « et si vous n’aviez pas déménagé » ? 

Eh bien tu aurais joué dans la boue mon coco. 

Nous traversons la France et nos courtes vies. Les mots se croisent comme les routes et notre destin familial. Dans le train, j’aime trop, trop les enfants avec qui je voyage sereinement, à travers la France et le temps, trop mes proches dont je m’éloigne, trop celle qui déneige quand je dégèle, dans le train j’aime trop. 

Noël fait l’effet d’une turbine. A bon port, je me calme un peu, et je pense encore un peu, le pouls redescendu, l’effet fêtes apaisé, le temps qui passe passé, à cette vie qui passe à la vitesse des trains. 

choisir son costume – blog de papa lion

Avec un aplomb pas possible en ces temps de Covid, la maîtresse prévoit un ramdam théâtral pour Noël, et ce sera filmé pour si nous n’avons pas le droit de venir applaudir nos jeunes premiers du fait des fantaisies du confinement, ce qui sous-entend que nous nous contenterons d’une vidéo. Je l’admire cette femme. Poser la, comme ça, sur la table, que les élèves joueront une pièce de théâtre clandestine à Noël, je trouve ça délicieusement rebelle, irrévérencieux, interlope, ce qui d’ailleurs ne lui ressemble pas, si l’on en juge à sa gestion de classe (on comprend), à ses choix de chanson de Noël (on compatit), à sa pédagogie plus que traditionnelle (au moins on s’y retrouve), à son look plus qu’arrière-gardiste (on s’en fout). Ou c’est qu’elle n’est pas bien au fait de l’actualité. Ou alors qu’elle a des passe-droits à l’Inspection (pour ma part, je n’ai pas le droit d’emmener mes élèves à la natation ; le Covid a sur ce point-là du bon).

Le texte, le décor, l’intention, le théâtre en milieu stérile, tout cela reste à préciser, mais nous en savons un peu déjà sur les costumes, et les costumes, pour des enfants, c’est bien la seule chose qui compte. Pour les parents aussi du reste, attendu qu’une participation financière non-négligeable est demandée aux familles, justifiée notamment par la confection.

Alors c’est au choix, à la nuance près que je n’ai pas bien compris qui le fera, ce choix – ma fille est persuadée que ce seront les élèves, je suppose que c’est la maîtresse qui tranchera, si toutefois le projet va au bout, et vu qu’on est tous à bout… M’est avis que les intermittents du spectacle rient jaune et sous cape : une pièce de théâtre à Noël ! Choix du costume non cornélien (ils ne sont qu’au CM1) mais tout de même, ce n’est pas rien et ça se réfléchit à l’avance : ils seront dindons et dindes, ou princes et princesses. Père Castor ou Michel Ocelot, en quelque sorte.

Tête brulée la maitresse, mais pas au point de demander aux familles de choisir ; j’aurais probablement été le seul parent à opter pour la dinde. Oui parce que ma fille en princesse j’ai déjà vu, j’en ai fait le tour, elle a été princesse rose, puis bleue, et quel que fût son costume j’ai très vite compris qu’il ne faisait pas plus la princesse que le moine, même dans l’enseignement catholique. S’il m’était donné la possibilité de choisir son rôle, ma gamine ne serait pas EN princesse puisqu’elle EST princesse, elle est princesse à tout bout de champ, elle est princesse quand je la réveille et qu’elle sourit avant même d’ouvrir les yeux, elle est princesse quand elle dessine des princesses, elle est princesse quand elle me donne la main ou plutôt qu’elle accepte que je lui donne la mienne, car le temps, par petites touches, rend certaines habitudes moins habituelles, elle est princesse quand elle est vilaine, elle est princesse quand elle range son ours dans son sac à viande et qu’elle part une semaine entière dans son autre principauté.

Alors j’espère qu’elle jouera le rôle d’une dinde, une dinde belle à croquer, et tant pis si ça glousse. Je me demande à quoi ressemble un costume de dinde. Une si jolie gamine en dinde. Je veux voir ça. Mes élèves à moi en costume de dinde ça ferait des dindes d’élevage mal élevées, une très basse-cour de récréation, vu qu’ils sont gras comme des chapons et pas plus vifs que les pintadeaux. Mais ma fille, glissez-là dans un costume de dinde, elle donnera la plus belle farce de l’histoire de l’humanité.

Ou du théâtre filmé.

Vivement Noël.

conversations – blog de papa lion

Le nouveau jeu à table : savoir qui a connu l’expérience la plus inattendue, ou bien la plus incroyable, en tout cas le truc auquel on ne s’attendait pas et suffisamment remarquable pour qu’on en parle en famille, à table, le soir. L’idée vient de la petite fille très grande qui propose son lanceur et se garde bien de montrer son jeu. Les autres d’abord. Pour ma part ma journée n’a rien d’inattendu. Que N. se soit montré débile n’a rien d’inattendu. N. est débile tous les jours, ce sont des jours qui ressemblent à leur lendemain et même à leur veille, je ne peux pas dire que N. est débile, parce qu’un enfant n’est jamais débile, en tout cas je me garderais bien de l’affirmer, en tout cas par écrit, on ne peut pas accabler N., N. serait peut-être trop intelligent, mal dans sa peau, en décalage, à tous les coups N. est précoce. S’il est précoce c’est sûr que j’étais en retard pour le constater. Mais à bien y réfléchir, pas grand-chose à raconter, alors je raconte la dernière de N., fulgurance pour les plus optimistes dont pas moi, sinistre constat d’un quartier moribond pour d’autres dont moi, je passe mon tour. Ma moitié qui ne veut pas l’être car elle est trop entière raconte, et ça ressemble à mon N., que sa S. a enfin rompu la glace, le silence, la torpeur, le néant, ça y est elle s’est exprimée, il aura fallu attendre quatre semaines de classe pour qu’elle s’ose, qu’elle livre ce qu’elle a en elle, c’est à propos d’un insecte qui traverse pesamment son pupitre, un innocent insecte qui ne voulait pas se faire remarquer et c’est raté car même S. l’a vu : elle ose lever le doigt ; sa maîtresse s’afflige, elle en attendait tant de son élève mutique ès tiques, mais voilà, S. ose enfin lever le doigt et prendre la parole au passage pour constater qu’un insecte trouble sa nullité. Ô passage. Ma moitié qui pourrait bien être mon double fait répéter parce que deux fois zéro semblent toujours un peu plus que zéro aux bien-pensants et mal comptant. Passons. C’est à ma fille, instigatrice du jeu, qui lève les yeux au ciel en nous racontant comme il est bavard, comme elle est cancan, comme il est bagarreur et comme elle est absente, la vie de classe, la classe, le quotidien. Et puis c’est à mon fils et depuis peu mon fils transpire son collège, après des années (deux) de rétention, ça y est ça parle, on sait, on vit, on partage.

Et toi, des choses à raconter ? des gens bizarres ?

Il répond « Moi » alors on rit, mais alors très fort, comme des lourds, parce que la scène est vraiment drôle et que depuis peu mon fils a le sens de l’autodérision qui est un passeport pour la vie alors nous rions.

Nous croyions qu’il s’agissait d’un moi affirmatif. Mais non tu n’es pas bizarre, mais oui la différence est signe de distinction, mais non il ne faut pas se fondre dans le moule, mais oui nous aimons quand même les moules, ça c’est pour sa sœur qui n’y comprend plus rien.

Il s’agissait d’un « moi » interrogatif voire distanciel. Le petit garçon devenu petit ado en attendant de l’être grand n’a finalement pas très envie de s’étendre sur sa journée. Quelle économie d’énergie pour nous faire rire. Sans le faire exprès, il nous a fait marrer et s’est marré avec nous. Puis il nous raconte les élections de délégués d’élèves auxquelles il a pris soin de prendre part de loin. Un vrai sens politique. Et de l’humour.

Nous votons.

Le suffrage désigne N. Décidément, c’est vraiment le plus con. Et pourtant on s’y attendait.

L’hiver de terre

Pour bien faire dans la nouvelle maison on a décidé qu’on n’y vivrait pas à quatre mais à mille, alors on a acheté des vers. Ils sont arrivés hier dans un magasin d’optique qui sert de relais colis, c’est formidable les opticiens d’aujourd’hui vendent des vers de terre. Je me retiens, mais si je ne me retenais pas, je me taperais la tête contre un des murs de la nouvelle maison à l’idée que les opticiens en 2020 servent de plaque tournante au recel des sacs remplis de vers de terre.

Sur le sachet en plastique qui n’ira pas dans notre composteur mais directement en Birmanie (tapons-nous la tête contre les murs) il y avait l’effigie d’un ver de terre tout sourire et couvert sur le chef d’un genre de panama dont on n’a jamais vu couverts les vers de terre, les couverts de terre ? Ca semblait être la bonne ambiance là-dedans, on est allés les chercher chez l’opticien, allez comprendre ou continuez d’essayer de comprendre, et on les a ramenés à la maison, j’étais avec mon fils, je lui ai dit on se grouille, il m’a répondu qu’ils étaient déjà probablement tous morts, et que ça ne grouillait pas tant, d’ailleurs à l’intérieur du sac ça ne grouillait pas trop.

A se demander s’ils n’étaient pas tous morts. In utero du coup. Fausse couche ? Ca semblait morne dans ce plastique, bonjour l’ambiance, oh les gars on vous propose un jardin, non deux jardins bonne ambiance, vue sur Nîmes, compost pour les plus sages. Faut pas charrier. En attendant ils avaient l’air tous morts.

En rentrant on n’était pas quatre, on n’était que deux, mon fils et moi, alors pour ouvrir le sac et montrer nos compagnons (morts) aux deux filles de la maison, on a décidé d’attendre qu’elles rentrent, et elles étaient parties faire du shopping, alors je ne veux pas lancer la polémique, on est tous égaux face au shopping, y’a pas de genre dans le shopping, enfin si y’a le genre qui à bi, mais ça c’est une autre histoire, il ne faut pas genrer le shopping, mais enfin en 2020, année où les opticiens dealent le lombric, dans ma famille en tout cas, aussi recomposée soit-elle, aussi recompostée aussi soit-elle, aussi progressistes soient-elles, y’a un genre : les filles, quand elles partent shopper, ben quand elles rentrent les vers ont eu le temps de crever dix fois.

Alors quand elles rentrent on regarde les jolies fringues et puis on se met du noir sous les ongles à creuser des trous pour enterrer les vers, et c’est là qu’on a été forts, parce qu’on a enterré en grande pompe des vers qui n’étaient même pas morts. Je les avais par grappe là, dans leur terreau de premiers de la classe, riche en tourbe et en je ne sais pas quoi, tout ce qu’il n’y a pas chez nous, je les tenais dans ma main, tout grouillants, souriants mais impatients d’aller creuser des galeries. On a fait des trous, on les a plantés comme on plante un bulbe. Ils ont intérêt à bosser dur.

Ils partirent cinq cents. Point de renfort. A J+1, ma fille a voulu creuser un peu, pour voir ou pour ne rien voir. Je crois qu’il s’agit d’un génocide. Il semblerait que les vers de terre ne survivent pas dans la terre. Moi je me demande bien, en 2020, ce qu’il leur faut. Les jeunes. Ils font n’importe quoi.

Le petit palais – blog de papa lion

Le docteur Tournevis a défini les frontières de l’enfance, proposant une réponse pour moi qui me suis tant interrogé sur le sujet. Il se pourrait bien que l’enfance ait pour butée la circonférence d’une mâchoire normée. Chez ma petite fille qui n’a jamais été aussi grande, la petitesse devient une anomalie qu’il convient de pallier. Elle n’a plus grand-chose de petit. Moi je lui vois des petits pieds, refusant de voir qu’ils sont péniche, je lui vois des petites mains feignant de ne pas saisir qu’elles mangent les miennes et que c’est à moi, à présent, de réclamer les siennes quand nous dévalons la rue. Même les vêtements pourtant à sa taille sont déjà trop étroits et il semblerait qu’il en soit de même en intra-buccal.  

Le docteur Tournevis prend à témoin la radiographie de sa mâchoire, trop petite vue d’en bas, on fait ce qu’on peut, et ça ne suffit pas, ce n’est pourtant pas pour ce qu’elle avale, c’est-à-dire quasiment rien, un moineau au régime, et ce n’est pas assez, il faut à présent lui élargir le palais et je trouve ça un peu barbare. Je pensais taper mon scandale, surtout que mes souvenirs d’orthodontie sont martiaux. Je me rappelle un praticien Boulevard Pasteur, avec de très grands yeux et des samedis matin à revisser ma bouche, ce ne sont pas de bons souvenirs. Et c’est à présent à ma petite fille de se faire réajuster les dents par le docteur Tournevis. Nous nous sommes laissés convaincre, cons derrière notre masque, bien forcés de constater d’après la radiographie que la mâchoire du haut semble étriquée, et que les dents définitives seront définitivement à l’étroit si le Docteur Tournevis ne force pas un peu la nature.

Nous avons un échéancier, c’est-à-dire des rendez-vous, des prélèvements bancaires et ma fille me parlera bientôt de derrière sa plaque palatine. Le sourire de ma fille c’est une partie de ma vie, ma vie elle n’est ni bien ni mal, elle est comme elle est et le sourire de ma fille fait partie des choses bien dans ma vie. On me dit qu’une plaque palatine contribuera à lui faire faire de beaux sourires. Je me satisfaisais de ce que j’avais. Et qu’elle la préservera de bien des troubles orthopédiques. J’aurais dit « Fuis » pour une autre. Puisque c’est ma fille et que le docteur Tournevis a tracé des segments fluorescents sur la radiographie, je sors mon chéquier. Ma fille ne dit rien, de toute façon nous portons tous un masque, on ne s’entend pas dans ce cabinet, je crois que nous avons tous envie de partir et remettre le mal à plus tard.

Il semblerait que quelques-unes de ses copines portent déjà des prothèses palatines. Nous imaginons ces enfants poser leur appareil mobile sur le plateau de la cantine. Nous trouvons ça cocasse et nous en rions.

Je déteste le bricolage, les mesures, les normes, les ajustements, et je voudrais bannir de la planète les tournevis.

Je me dis malgré tout que ses sourires seront encore plus grands. C’est dérisoire, ça ne change rien, la vie est toujours aussi con, mais si ma fille sourit encore plus grand alors on ne s’en sort pas si mal.

Avenir – blog de papa lion

Informaticien…Il ne manquait que ça. On lui a tout donné, la tendresse et le reste, il est raffiné comme on l’a affiné, sustenté de nectar et de nourritures célestes dès le biberon. Dévorer Roald Dahl à sept ans pour finir informaticien. Qu’avons-nous raté ?

L’informaticien est doué de convivialité.

Je lui ai lu Rimbaud pour l’éveiller et Tintin pour l’endormir, l’ai initié aux poètes maudits et à de bien modiques poètes. Bébé, ses babilles de petit héraut rimaient, et voici qu’à 12 ans son langage est codé et qu’il écrit en binaire. Il a su lire et compter très tôt. A présent tout tient en deux lettres, p et c, deux chiffres, 0 et 1. Je le sens tourner autour de moi, lorgner par-dessus mon épaule quand je travaille, jauger la mémoire virtuelle de mon ordinateur en levant les yeux au ciel : il pourrait booster un peu tout ça, me suggère une manipulation à ma portée dans les paramètres du système, recommande l’installation d’un petit logiciel ; trois clics dans le registre devenu familier transformeront ma bécane en Formule 1.

Informaticien ? Et pourquoi pas banquier ?

Quel est son avenir ? Il s’attend à quoi ? A ce qu’un jour les gens tapent sur leur casserole à 20 heures pour lui exprimer leur reconnaissance ? « Merci les informaticiens, nos héros du quotidien. » ? « Soutien à tous les informaticiens. » ? « Je suis informaticien. » ?

Un modèle (moi) s’écroule. Pourquoi lui avoir dit qu’il n’y a pas de sot métier, qu’il deviendrait un type bien quoi qu’il arrive ? Je n’avais pas anticipé cela. On a bien dû rater un virage, lâché le mot qu’il ne fallait pas. Ou bien c’est une forme rare du Covid. Le confinement n’a pas aidé, il l’a passé à se planter devant son PC qui avait fini par planter, à force de ramer sans RAM. Le gentil réparateur a finalement trouvé la clé et a copié Linux dessus. Alors il a tout réinstallé tout seul comme un grand en écrasant ses données comme un grand aussi, ses diaporamas sur les frites, l’inventaire.xls de ses Lego, son mémoire de quinze lignes consacré à Michel Fugain. Les photos du chat qui dort et le fond d’écran Harry Potter.

Il y a quelques années, c’est maître d’école qu’il voulait faire. Je n’aurais sans doute pas dû l’en dissuader.

infiniment confines – blog de papa lion

S’il y en a deux qui ont pris à leur compte le mot d’ordre « restez chez vous », ce sont bien mes enfants. Ça, pour le coup, ils s’engagent dans la lutte, ils ont le nez dedans, le sens du sacrifice et l’âme de résistants. No pasaran, version No sortiran. Ils se sont engagés dans la lutte quand ils ont compris que ça pouvait sauver des vies (et ménager la leur). Quels qu’en soient le prix et la durée, ils consentent à rester confinés. 

Mais rangeons les lauriers, ma maison est le maquis des tire-au-flanc. Ou bien c’est qu’ils sont nés partisans.

Partisans du moindre effort, engagés volontaires, casaniers Hasta la vista ! Dentro de la casa !Restez chez vous : il était inutile de le leur dire deux fois. Faut pas les pousser. Enfin, pas dehors en tout cas. 

Une aubaine. Ils ne se rendent pas bien compte. Qu’ils profitent : je mets ça sur le compte de l’insouciance. 

On se confine et on confine à la paresse. Mon premier double-niveau est pour le moins co-classe, la petite du CE2 qui ne se trompe pas beaucoup et son collègue du collège qui se bat avec son ENT. C’est con comme la lune, mais ce virus est con comme la lune : j’ai disposé une poire de liquide hydro-alcoolique en guise de centre de table, pour faire comme si nous étions en société. Il nous garantit l’élimination de 99,9 % des bactéries. Un blitzkrieg biologique pas très bio. Logique : 0,1% de chances d’y passer, ils auraient pu pousser un peu plus loin l’élaboration du sérum anti-apocalyptique. Nous véhiculons nos bactéries sans vraiment y croire et nous noyons, consentants mais sentant bon, dans notre bain de culture. Nous l’avons, nous ne l’avons pas, nous nous le refilons gaiement. Nous nous câlinons plusieurs fois par jour sans nous laver les mains.  

J’ai connu pire gestion de classe.

Dehors, c’est-à-dire dedans mais chez les autres, ce sont beaucoup de tensions, des situations difficiles que nous ne connaissons pas et pour lesquelles je ne sais faire mieux que compatir. Je partagerais volontiers mon bout de jardin mais c’est proscrit. Je distribuerais avec plaisir deux ou trois tulipes. 

Le temps est large mais je ne peux quand même pas lui proposer de lire Homère en grec ancien. Ce sera donc un petit album de Thésée, une version édulcorée, comme si passée au lave-mains de circonstance. Elle me dessine un Minotaure en slip de bain, à peine cornu, un Minotaure qui ne terrasserait pas le moindre Athénien. Sa fantaisie est la réponse au mal mystérieux qui verrouille les portails. Je l’aime ainsi : douce, naïve mais savante. 

Il paraît que nous allons grossir, nous qui ne portons pas le virus ou bien le terrassons par notre immunité minotaurienne de bien-portants. C’est vrai que nous mangeons bien et trop, et que l’effort physique manque un peu. Il ne faudrait pas que cela dure. On finirait confits. C’est mars 2020, dans notre famille, et dans notre famille, chez nous, nous sommes confits nés. 

Pour l’instant, nous restons chez nous et nous allons bien, ce que nous souhaitons à chacun. 

émeu – le jeu « réfléchis » – en exclusivité

C’est un jeu de (bonne) société qui s’appelle « Réfléchis », vous l’appellerez comme vous bon vous semblera. Mais « Réfléchis » c’est bien. Il se joue de 8 à 42 ans, ce sera marqué sur l’emballage en carton recyclé quand ma fille aura entrepris les démarches de brevetage. Je vous laisse deviner son âge et le mien. Après 42 ans, considère-t-elle, c’est trop facile. Le jeu consiste à lancer un dé et à penser à autant de choses que le nombre indiqué par le dé. Simple, efficace. Les autres joueurs doivent deviner à quoi l’on pense et à combien de choses on pense. Convivial, potentiellement poilant. Interdiction de penser à plus de six choses à la fois du coup. C’est une contrainte, mais le temps passe vite et pour une fois à mon avantage. 

Il y bien d’autres jeux plus traditionnels et néanmoins imaginatifs dans la boutique Emeu dont j’entreprends ici une chaleureuse publicité. Depuis mars dernier, l’émeu n’est plus uniquement un simple dromaiidé aux ailes ratites d’Australie. Un genre d’autruche coriace et exotique pouvant atteindre une taille de deux mètres. C’est à présent une boutique écoresponsable et éthique du centre de Paris, 156 avenue Ledru-Rollin métro Voltaire. On y vend des articles de qualité pour les enfants de 0 à 6 ans : des jeux, des accessoires de puériculture, des livres, des gommettes. Des trousses, des carnets à secrets, des sacs, des petits trains en bois, des crayons fendards, des cahiers d’énigmes, des gigoteuses à moins que ce ne soient des turbulettes, des bodys et des pyjamas. Des documentaires, des albums, des bilboquets. Des jeux de construction, de la décoration, des jeux de cartes, des voitures de course (en bois). 

La vitrine l’été. Pour Noël, voir sur place.

C’est un monsieur de goût et de principes qui tient l’officine. C’est un passionné. Un type bien. Je le connais très, très bien. Il choisit ses produits selon un cahier des charges écoresponsable, qualitatif et non genré. Et puis il est drôle et sympa, il organise des ateliers de cuisine et de petits bricolages pour les enfants le mercredi après-midi, c’est chaleureux et bienveillant, c’est intelligent. C’est tout lui. 

Le taulier, c’est tout lui.

A ce jour, Emeu, le kidstore éco-responsable du centre de Paris, est la première boutique au monde à proposer le jeu « Réfléchis », de 8 à 42 ans. Un jeu non genré (mes deux enfants y jouent) et respectueux de la planète, pour peu que vos une à six réflexions simultanées le soient aussi.

Le jeu « Réfléchis » (à l’intérieur du sac à malices).

Rendez-vous chez Emeu de ma part ou de celle du Père Noël. Demandez au patron s’il vend le jeu « Réfléchis ». S’il est en rupture, il vous proposera quelque chose d’autre, quelque chose de bien aussi, ça c’est certain.